Que faire du travail qui nous travaille ?
« Le travail, ça me travaille » : c’est la proposition de titre que j’ai faite récemment à un comité d’établissement avec lequel je mène un projet culturel consistant à réinterroger, avec des salariés accompagnés d’artistes et de chercheurs, notre rapport au travail.
Si idéalement, par notre travail, nous pouvons nous accomplir et gagner notre liberté, alors ce travail devrait produire de la qualité de vie, du vivre ensemble, de la fraternité, et permettre de faire de la démocratie. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les multiples crises que nous traversons (crises du travail, du sens, du lien, de l’autorité/liste proposée par Charles Rojzman, fondateur de la Thérapie Sociale, à laquelle j’ajouterais la crise écologique) l’atteignent jusque dans ses fondements. Et un monde du travail en crise a forcément des effets sur notre confiance, sur notre santé, il génère des peurs, de la souffrance et des violences.
Comment réinterroger la nature de notre travail, et notre rapport à lui ? Et comment retrouver le pouvoir de le transformer ? Instance représentative à la fois des salarié-e-s et de la direction, le Comité d’établissement (ou Comité d’entreprise) est censé être un espace de dialogue ayant pour mission de définir et conduire ensemble les actions sociales et culturelles. Or, ce qui fut une magnifique avancée du temps de son invention à la Libération, n’a plus exactement la même fonction. Dans bien des cas, le CE ne joue plus qu’un rôle de palliatif à la souffrance au travail, en offrant aux salariés diverses « échappatoires » : sorties-spectacles, vacances au soleil, ou autres loisirs de consommation. Autant de moyens d’échapper, l’espace d’instants fugaces, à une vie professionnelle de moins en moins soutenable.
Igor Rothenbühler, co-directeur de l’Institut Charles Rojzman, formateur et superviseur en Thérapie Sociale, a récemment publié un article dans Non-Violence Actualité (mars-avril 2014), dans lequel il prouve à quel point la Thérapie Sociale répond particulièrement bien aux problèmes humains rencontrés dans l’entreprise. Prévenir et diminuer la souffrance au travail passe en effet par la diminution des violences. Or, « dans la totalité des organisations dans lesquelles j’ai eu l’occasion de travailler, explique-t-il, les responsables redoutent les conflits et sont réticents à créer des espaces permettant aux professionnels d’exprimer leurs désaccords et leurs besoins non satisfaits ». Et il ajoute : « Les débats conflictuels se transforment toujours en violence si l’on ne prend pas soin de créer un cadre propice à l’empathie, à la remise en question de soi, en tenant compte des peurs, des préjugés et des besoins de chaque membre du groupe (…) Faute de connaissance de la posture et de l’approche nécessaire à la création des conditions propices à des conflits constructifs et réparateurs, les organisations renoncent au débat conflictuel qui leur parait une utopie… et le conflit, moteur du travail en équipe, est accusé d’être la cause des problèmes. »
Igor Rothenbühler est riche d’une longue expérience de pratique de Thérapie Sociale avec divers groupes dans divers types de structures, entreprises du secteur privé, collectivités locales, centres hospitaliers, établissements scolaires, administrations publiques, associations. Il atteste qu’au fil de leur parcours, « les cadres en formation découvrent avec étonnement que le conflit est une valeur collective et une compétence indispensable à l’organisation, qu’il est constructif et permet une compréhension mutuelle et un enrichissement réciproque. »
Pour ma part, je pense que le CE est lieu adéquat pour dégager de la puissance d’agir. De nombreux élus de CE recherchent aujourd’hui des dispositifs innovants et participatifs qui leur permettent d’améliorer les relations et la qualité de vie dans leur établissement, et d’imaginer de nouvelles façons d’être, de faire et de travailler ensemble. Certains se demandent même comment il sera possible de réinterroger collectivement le sens et les valeurs de l’entreprise dont ils sont les salarié-e-s et/ou les dirigeant(e)s. C’est pourquoi nous pouvons imaginer une nouvelle forme de communication d’entreprise avec une approche telle que la Thérapie Sociale. Une qui ne sera plus la « voix de la direction », mais une collective, quand c’est possible élaborée par le CE lui-même, qui sera une expression mutuelle des représentations salariales et dirigeantes.
Yves Lusson
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