A la découverte de notre paysage intérieur
Mon intervention, spécialement conçue pour l’occasion, et qui dura environ une heure et demi, visait à mieux prendre conscience ensemble de la richesse de nos sentiments, de leur impermanence, de comment ils se transforment, élargissant ainsi les champs de notre créativité. Ma proposition cherchait aussi à faire baisser sensiblement le niveau de méfiance du groupe, dont les membres ne se connaissaient pas (ou peu), permettant ainsi de favoriser l’instauration des conditions de notre « créativité collective » – qu’il s’agisse de mieux improviser ensemble, ou d’accomplir ensemble des oeuvres communes.
Voici comment, dans mon dossier de présentation, j’introduisait ma proposition : « Tel un paysage naturel, notre paysage intérieur est riche de la grande diversité de nos sentiments. En perpétuel changement, il influence nos pensées, nos paroles, nos actes. Il est toujours en relation sensible avec celui des autres. Les paysages intérieurs est une invitation à prendre conscience de sa grandeur et de sa beauté, à découvrir combien cette beauté réside non pas dans une collection de « bons sentiments » – qui correspondrait à une sorte de jardin à la française tout figé – mais au contraire dans sa nature sauvage, dans ses contrastes, ses mouvements parfois inattendus, ses oscillations, ses ambivalences, ses transformations immenses ou infimes, ses accidents aussi… à l’image du merveilleux massif montagneux et sauvage qui nous entoure… »
Ainsi j’invitai les participants à faire eux-mêmes un bout de chemin dans leur propre paysage intérieur. Dans l’exercice que je proposai pour l’occasion, très largement inspiré par mes premiers mois de formation en Thérapie Sociale, et spécialement adapté à mon public du jour, il s’agissait de provoquer pour chacun une « rencontre » qui les amène à faire ce chemin ensemble et, une fois n’est pas coutume, à l’observer.
Je commençai par présenter au groupe une série de photos de paysages variés. Chacun prit le temps de s’en choisir une qui faisait écho à son humeur du moment, puis fut invité à se présenter succinctement aux autres, en commentant son choix.
Après ce rapide et original tour de présentation, je leur présentai une liste de « sentiments de départ », parmi lesquels : circonspect, impatient, intimidé, insécurisé, sur mes gardes, envieux, etc.
J’invitait chacun à choisir à la fois :
– un de ces sentiments de départ qu’il ressentaient (sans le dire aux autres)
– une personne du groupe qui réveillait en lui ce sentiment (ou vice-versa)
Le groupe fut de cette façon partagé en plusieurs binômes, lesquels se formèrent sans trop de difficulté, sans doute grâce au principe de réciprocité souvent observé dans les relations humaines.
Je veillai :
– à ce que les duos se choisissent bien non pas en fonction d’un sentiment d’affinité présumée (ce qui n’aurait pas permis d’atteindre le but recherché), mais bel et bien à partir d’un de ces sentiments de départ « potentiel » ou « problématique », qui les incitait à bouger, à faire l’effort d’un cheminement, comme une difficulté qu’il leur fallait traverser dans la relation.
– à leur rappeler que l’exercice était libre et facultatif, cette règle étant essentielle pour le respect de chacun et de tous.
Les rencontres eurent lieu en toute confidentialité, les binômes se dispersant dans la nature environnante.
Là, à tour de rôle, chacun commença à décrire à l’autre les premières perceptions qu’il avait de lui, qui réveillaient en lui son sentiment de départ, démarrant ainsi le cheminement. C’est précisément parce qu’il s’agissait ici d’exprimer un sentiment vrai et sincère qu’une « rencontre authentique » eut lieu, dans le cadre sécurisant que je leur proposais. Les deux personnes cherchèrent ensemble à savoir ce qui se cachait derrière, à la lumière des expériences et des sensibilités de chacun, etc. La confidentialité, ainsi que le climat propice que je leur avait offert, leur permit de se dévoiler peu à peu et en confiance, dans le respect et la sollicitude.
J’ai moi-même pu observer combien le fait d’autoriser les gens à exprimer leurs appréhensions constitue pour eux le meilleur moyen de les dépasser, et d’avancer avec les autres. Il n’est jamais aisé d’exprimer ses peurs des (et aux) autres de but en blanc, notamment lorsqu’on a une sensibilité artistique, ou « alter », et que la bienveillance est une valeur revendiquée. C’est toutefois l’une des conditions pour faire éclore à terme de la capacité à « faire avec les autres en intelligence et créativité collectives ».
Au cours de l’échange, chacun put auto-observer combien son paysage intérieur se transformait en chemin, parfois de façon surprenante, à mesure de la découverte et de la connaissance de l’autre : ainsi par exemple, un sentiment circonspect ressenti au départ, laissait la place à un sentiment d’empathie, puis soulagé, puis enchanté, etc. On s’aperçut qu’on pouvait même ressentir plusieurs sentiments simultanément, parfois ambivalents.
J’invitai les binômes à reconnaître quelques-uns de ces sentiments croisés en chemin, et à en parler entre eux : un travail que l’on est trop rarement invité à faire dans nos relations. Pour les y aider, y compris à nommer certains spécimens, je leur fournis une carte – totalement subjective ! – composée de dizaines de mots/sentiments que j’avais intuitivement disposés comme dans un vrai paysage.
A la tête réjouie des participants, et à la gratitude qu’ils me témoignèrent à l’issue de l’atelier, je sus que j’avais réussi mon intervention. Le reste de la journée fut ponctué de quelques beaux moments d’improvisation collective, notamment de chant, sous un climat propice à la découverte et à la connaissance de soi et des autres.
Yves Lusson
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