Journaliste et communicant : le grand défi du savoir-être
En tant que journaliste et communicant, j’ai souvent remarqué que plus mes écrits me venaient intuitivement, plus ils marquaient favorablement les esprits. Se couper de soi, de ce qui au fond nous anime, de ce que nous ressentons, même subtilement, de ce qui nous enthousiasme autant que de ce qui nous fait peur, est non seulement un mal pour soi mais aussi un mal pour le monde.
Dans ma vie de journaliste, je me suis trop souvent soumis à mes commanditaires, qui me donnaient mes sujets et me dictaient ma façon de les traiter, sans réelle délibération. Jusqu’à épuisement, pour ne pas dire jusqu’au burn-out (que j’ai réellement vécu). J’étais devenu sans m’en rendre compte la « voix de son maître », une sorte d’esclave d’un maître que j’avais intégré en moi. J’ai bien tenté de me rebeller, mais je refusais de m’exclure du système et de me retrouver dans des marges – la presse alternative par exemple – où l’on peut raisonnablement suspecter que la culture de la soumission – à des idéologies ? – règne tout autant qu’ailleurs.
Aujourd’hui, d’innombrables employés de l’information et de la communication (pour ne parler que de ce secteur) offrent leur plume à des causes auxquelles ils ne croient plus vraiment. Mais qui construit nos représentations du monde si ce ne sont ceux qui sont sensés le raconter ? Pouvons-nous nous contenter d’expliquer la crise de défiance de la société vis-à-vis des médias – ou plus largement des élites – en ne montrant du doigt que le capitalisme et la concentration des pouvoirs dans les mains de quelques magnats avides ? Dans les médias travaillent des milliers de personnes sensées être des professionnels dotés d’une éthique et d’une déontologie.
Alors parlons-en de tous ces articles télécommandés, de tous ces « bons clients » à interviewer (le bon client est celui qui est « télégénique » et qui parle bien dès qu’on appuie sur le bouton), de tous ces produits ou idées extraordinaires à promouvoir pour le bien de l’humanité (en réalité souvent pour le bien du chiffre d’affaires de telle ou telle entreprise, de la sacro-sainte croissance ou d’un système politique à renforcer), de tout ce vent déguisé en rêve. C’est ainsi que subtilement, inconsciemment, subrepticement nous nous sommes décollés de nous-mêmes, de nos propres rêves, de notre propre dignité, de nos propres colères aussi. L’utopie, l’audace, la poésie, la fraternité, la folie, les (res)sentiments, les frémissements, les incertitudes et tant de souffrances partagées n’avaient plus droit de cité, croyions-nous. Ou alors uniquement dans de lointaines bulles extérieures à nos vies : le film hollywoodien, l’aventure extrême, le sport-spectacle, le jeu vidéo, l’infotaitment, etc. Petit à petit nos écrans ont fait écran à nos propres désirs, à notre propre puissance, à nos propre besoins d’épanouissement, de plénitude et de sens dans nos propres réalités. A défaut de pouvoir nous réaliser, nous avons jeté nos rêves dans des boites, et nous, journalistes et communicants, en détenons une bonne partie des clés.
Comment alors changer quelque chose à ce monde qui ne correspond plus à la réalité ? A quoi ressemblerait un monde dont les représentations se construiraient à partir du vécu, de la réalité et des ressentis des gens, de tous les gens ? Comment évoluerait la société si elle était réellement tendue vers un but de (re)créer des liens pour satisfaire à nos besoins fondamentaux de vivre avec les autres, d’affronter ensemble les vrais problèmes que nous traversons dans nos vies, et d’y répondre en déployant nos intelligence et créativité collectives ? Qu’est-ce qui aujourd’hui nous empêche de participer à ce nécessaire combat pour un monde plus réel, plus humain, plus libre, plus solidaire et plus aimant ?
N’est-ce pas plutôt un savoir-être que nous devrions acquérir, avant d’apprendre les savoir-faire de métiers en constante évolution ? En Thérapie Sociale, nous apprenons à mieux voir les obstacles qui nous empêchent d’être libres, pour mieux les surmonter, y compris dans nos professions respectives. Pour retrouver ce savoir-être, je tâche de tomber mes masques, de regarder et traverser ce qui m’empêche d’être en empathie avec les autres, d’être autonome avec les autorités, d’être capable de conflit sans violence avec les autres, de m’aimer tel que je suis, blessé, imparfait et faillible, mais lucide et critique sur le monde, et responsable et puissant (c’est-à-dire ni impuissant ni surpuissant). Le chemin n’est jamais fini, mais aujourd’hui je me sens plus présent au monde, plus confiant et plus humble, et j’ai acquis des compétences pour permettre aux autres de l’être davantage.
Oui, pour les journalistes et les communicants d’aujourd’hui et de demain, je pense que le défi du savoir-être libre est majeur.
Yves Lusson, journaliste, communicant et intervenant en Thérapie Sociale
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