D’où me vient cette aspiration à contribuer à réparer le monde ?
Quel sens est-ce que je donne à ma nouvelle activité d’intervenant en Thérapie sociale ? Voici quelques réponses en chemin, écrites à partir d’une interview que j’ai donnée à un psychosociologue l’an dernier…
Quelles motivations m’ont porté vers la création et l’animation de dispositifs d’échanges et d’entraide ?
Nos motivations profondes prennent leur source dans notre passé, et retrouver les miennes m’a demandé un vrai travail d’archéologie familiale. Enfant, j’ai été marqué par des reniements subtils, des difficultés à être moi-même, à vivre des relations vraies et créatives avec mes proches. Je vivais dans une famille forcée d’apparaître bonne et dévouée, alors il me fallait souvent cacher mes manquements, mes faiblesses, mes peurs, mes chagrins, et je me coupais de moi-même et des autres. Dans le travail que j’ai fait sur moi-même et sur mes relations aux autres, dans le cadre de ma formation en Thérapie sociale de 2012 à 2015, j’ai pris peu à peu conscience des illusions de mon enfance, que je ne voyais pas, que je reproduisais dans ma vie, et qui étaient pour moi autant d’obstacles pour bien communiquer, coopérer, créer, aimer. J’ai créé Fairensemble (le nom de mon entreprise) pour décrire un état relationnel retrouvé d’épanouissement, que je restaure petit à petit en apprenant à traverser mes obstacles intérieurs et extérieurs. Au cours de ma formation, j’ai pu découvrir l’existence d’un vieux concept passionnant issu de la philosophie et de la littérature juives : le Tikkoun Olam. C’est une sorte de prophétie qui augure l’avènement d’une ère attentive à réparer un monde en train de se briser en morceaux. J’ai réalisé que ça correspondait bien à ce que nous vivions aujourd’hui, dans nos couples, nos familles, nos territoires, nos entreprises, nos quartiers, nos communautés, nos clans, avec chacun leurs croyances : autant de carcans qui nous empêchent de transformer ensemble notre monde en crises. Depuis l’enfance, je sentais cette nécessité de recoller les morceaux. J’ai commencé par recoller les miens.
Dans mon parcours bio et pro, qu’est-ce qui m’a orienté, poussé vers ce type d’activité ?
Petit, j’étais fasciné par les premiers pas de l’Homme sur la Lune, cette extraordinaire aventure scientifique collective. Mais la Lune était aussi mon refuge imaginaire. J’ai étudié l’information et la communication scientifique et technique à l’université, mais il m’arrivait souvent de faire l’école buissonnière. J’ai suivi une psychanalyse pour mieux comprendre qui j’étais, d’où je venais, ce que j’avais cru vrai dans ma jeunesse. Mais je voyais mon psy comme un être supérieur. Dans mon métier de journaliste, j’ai développé le goût de transmettre des réalités au plus grand nombre, de débattre, de partager des valeurs humanistes et écologistes, de les communiquer. Mais je rêvais toujours d’un monde idéal. J’avais besoin de développer mes capacités à me confronter aux autres en liberté et en vérité, à coopérer pour pouvoir mieux vivre avec les autres dans une plus grande acceptation des réalités du monde. J’ai certes eu l’occasion d’encadrer des réflexions et des écritures collectives, dont les productions visaient à prendre en compte la diversité des points de vue et des vécus : par exemple un livret sur un nouveau métier d’accompagnement en santé, dans lequel se retrouvaient les différents praticiens, ou la Déclaration de Lézan, rédigée à l’occasion de la Convergence citoyenne pour une transition énergétique (août 2011 dans le Gard). Ces intentions que j’avais de réinclure autant que possible les différentes sensibilités, de tirer profit des hétérogénéités, m’ont servi pour mener à bien ces projets. Mais ce n’était pas simple pour moi, car j’avais encore en moi des formes de manichéisme et d’idéalisme qui m’empêchaient d’assumer pleinement la complexité du monde, tout comme la mienne, ses imperfections, tout comme les miennes et celles des autres.
Quelles sont les compétences que j’ai développées pour agir dans ce champ d’activités, et comment les ai-je acquises ?
Pour être capable d’accompagner un groupe sur le chemin de la réparation, j’ai dû travailler en profondeur mon humilité et ma confiance en moi. L’humilité, c’est la conscience que nous ne savons pas tout et que nous ne savons pas pour les autres. La confiance en moi, c’est la reconnaissance de ma propre valeur et aussi de mes limites, des peurs ou des ressentiments qui me traversent, du chemin parcouru, de ce que je veux faire du reste de ma vie, et ne pas faire. Sur ce chemin d’humilité et de confiance, j’ai pu devenir davantage moi-même, plus présent, plus visible, plus lisible, dans une posture qui n’est pas celle du médiateur telle qu’on l’entend, mais un savoir-être authentique et responsable qui laisse voir autant que possible ses sentiments, ses faiblesses, ses limites, ses failles. J’ai été de plus en plus capable d’entrer en conflit pour pouvoir sortir de mes violences et stopper celles des autres, et ainsi d’aider les autres à le faire eux-mêmes dans les limites de là jusqu’où j’étais allé moi-même. Intégrer petit à petit cet art de la Thérapie Sociale inventé par Charles Rojzman me permet d’être de plus en plus humain et de plus en plus créatif.
Quelles sont les compétences qui me restent à acquérir ?
Elles sont l’objet d’un travail sans fin. J’ai à améliorer toujours mes capacités à m’écouter et à écouter les autres, à prendre conscience de mes propres peurs qui me manipulent encore, à ne pas être soumis aux autorités quelles qu’elles soient, à créer le cadre sécurisé qui permet au conflit de s’exprimer, et ainsi à aider les groupes à sortir de leurs propres empêchements… C’est un apprentissage en « spirale » : plus je travaille à traverser mes propres empêchements, plus ma capacité à aider les autres à traverser les leurs augmente. Je me dois aussi de connaître de mieux en mieux la valeur et les limites actuelles de mon travail pour pouvoir promouvoir mes compétences encore plus justement. Je me dois d’identifier les vrais besoins de ceux avec lesquels je vais travailler. Ce que je suis, ce que je sais faire, j’ai à le proposer à ceux qui n’ont pas d’autre solution pour continuer d’avancer ensemble. Et éviter de proposer ce que je ne sais pas faire.
Quelles sont les valeurs et idéaux qui m’ont orienté vers ce champs d’activité ?
J’ai reçu une éducation chrétienne, qui se voulait généreuse et ouverte dans ma famille : cela a certainement compté. Si je devais retenir un seul mot ce serait celui de la fraternité, car il est à la fois la valeur de la République sur laquelle se fondent les autres, et une valeur commune aux religions, aux cultures. Mais je découvre avec le temps et l’expérience que cette fraternité ne va pas de soi, que nous devons l’apprendre dans le cadre d’un combat pour la réalité et la liberté, à commencer par un combat pour connaître notre propre réalité et gagner notre propre liberté.
Puis-je faire société sans cette attention profonde à construire la fraternité ? Deux jours avant les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper casher, j’avais lu avec intérêt un article de Charles Rojzman qu’il avait posté le jour même et qu’il avait intitulé : « Il est temps de construire une véritable fraternité ». J’ai pu constater depuis combien l’actualité confirmait cette nécessité.
Quelles joies, satisfactions, gratifications j’y trouve ?
La joie de retrouver ma puissance. Que ce soit dans mon apprentissage – nous sommes plusieurs dans ma formation et ma supervision qui nous accompagnons au fil des années – ou dans les premiers groupes que j’ai animé, j’ai été ému aux larmes par l’humanité et l’intelligence qui émanent des êtres qui se libèrent de leurs enfermements. Je refais corps avec un collectif, tout en me sentant grandir avec les autres dans nos autonomies respectives, et ça fait tellement de bien. Je ne pense pas qu’il soit possible de changer notre nature humaine : nous sommes définitivement des êtres sociaux, c’est-à-dire que nous nous nourrissons les uns des autres. Contribuer à retrouver les conditions de la joie d’être et de faire ensemble me rend plus heureux que jamais, j’ai l’impression de me relier à mes ancêtres paysans, aux « félicités estivales », aux labeurs collectives des moissons et des vendanges, aux veillées du soir, en même temps que je poursuis mon chemin de délivrance et d’émancipation personnelle.
Qu’est-ce que cette activité, d’après mes observations, apporte aux personnes qui viennent et quel est en général le retour de ces personnes ?
De l’espérance. Nous vivons dans un monde désenchanté, pessimiste, parfois cynique. Est-ce la vraie vie, est-ce le monde que nous voulons ? Les gens reprennent des couleurs, leurs visages s’éclairent, leurs yeux brillent, ils se relient les uns aux autres tout en étant eux-mêmes. C’est une grande respiration.
Cette activité est-elle pour moi centrale/importante/ou bien annexe ?
Elle correspond pour moi à un besoin profond, à une nécessité. J’ai 50 ans et une vie professionnelle bien remplie. J’ai beaucoup bougé, occupé de nombreux postes de journaliste/communicant dans des entreprises, des médias, pour des collectivités. J’ai souffert en me mettant inconsciemment dans des situations de soumission, d’isolement, d’humiliation. J’ai vécu des épuisements, professionnels et personnels. J’ai rencontré des dirigeants et des élus découragés, des citoyens désespérés, des employés blasés, des couples résignés. Mon activité est essentiellement tournée vers la guérison de nos relations. Avec elle je me guéris, et ainsi guéri, je suis de plus en plus capable d’aider les autres à se guérir. Pour ainsi dire, à retrouver leur âme d’enfant, à se réenfanter.
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