Chroniques pour faire société ensemble

Ecologie : un Everest à franchir ?

camp de base au pied de la montagne
Camp de base au pied du Mont Everest

Les faits se précisent : notre civilisation actuelle, qui repose essentiellement sur la croissance économique et sur une consommation effrénée de ressources fossiles, donnerait des signes de faiblesse, si ce n’est d’effondrement*.

Et ce ne sont pas les nouvelles technologies, y compris les « vertes », qui devraient la sauver. Grandes consommatrices d’énergie, de métaux (trop) rares (tels que le lithium ou le platine, pour les batteries électriques par exemple, déjà en voie de pénurie), formées d’alliages souvent complexes rendant très difficile leur recyclage, ces fines fleurs d’une méga-industrie coûteuse et centralisée devraient elles-aussi finir par disparaître.

L’ancien monde cèderait ainsi la place, à relativement brève échéance (dans le siècle), à un nouveau monde à l’écologie plus profonde, plus « intégrale » (pour reprendre les termes du Pape François dans sa récente encyclique très écolo), qui reposerait à la fois sur des technologies plus simples, plus naturelles, astucieuses et accessibles (low tech), mais aussi sur une nouvelle « résilience » sociale : une transition et une relocalisation des activités humaines, reprises en main par les habitants des territoires, dans le cadre de reconstructions de pratiques collectives « que notre société matérialiste et individualiste avait méthodiquement et consciencieusement détricotées » (Philippe Bihouix, L’âge des low tech, éditions du Seuil). Un avis partagé par Pablo Servigne et Raphaël Stevens, auteurs du récent et remarqué ouvrage Comment tout peut s’effondrer (également aux éditions du Seuil) qui affirment avec un étonnant optimisme : « Les communautés humaines portent en elles de formidables capacités « d’auto-guérison ». Invisibles en temps normal, ces mécanismes de cohésion sociale très puissants permettent à une communauté de renaître d’elle-même après un choc en recréant des structures sociales qui favorisent sa survie dans le nouvel environnement. »

Vraiment ? La société actuelle est-elle prête à vivre le grand « choc » d’un changement radical de civilisation, ou bien même seulement à négocier un « grand virage », pour reprendre le titre du dernier essai politique de Cécile Duflot, la candidate favorite des prochaines primaires des Verts ? Est-elle disposée à s’engager comme un seul homme dans cette écologie « radieuse », alors que ses promoteurs politiques peinent à atteindre les 5% aux élections présidentielles françaises ? Et que font réellement les territoires et leurs habitants pour initier les transitions – ou transformations – énergétiques et agricoles dont on parle depuis tant d’années déjà ? Après trente ans d’existence, l’agriculture biologique cherche encore son second souffle, avec par exemple, en 2014, seulement 4,5% de la totalité de la surface agricole en Bretagne (pourtant l’une des régions les mieux pourvues en fermes bio). Quid des 95,5% de fermes restantes et de leurs agriculteurs ?

Où en est l’économie de proximité ? Combien d’AMAPS ? De coopératives d’énergie ? De maison de santé naturelle et alternative ? D’écoles tournées vers la nature et la créativité ? Aussi séduisant et exemplaire soit-il, le mouvement de la transition des territoires reste encore marginal et anecdotique, et il rassemble rarement au-delà de l’habituel cercle restreint des initiés. Tout se passe comme si, face aux enjeux gigantesques auxquels elle devait faire face, la société était atteinte d’une sidération paralysante (ou d’une paralysie sidérante !). Personne ne bouge, ou si peu. Tel un animal sauvage, le sujet resurgit de temps à autres dans les médias, au gré de conférences internationales, de catastrophes climatiques ou de hausses du prix du pétrole, pour en disparaître aussi vite, laissant le monde aller dans ce qui ressemble fort à une fuite en avant, un grand déni de réalité.

J’ose malgré tout affirmer que cette grande aventure de l’écologie devrait un jour avoir lieu. Elle semble aller dans le sens de l’histoire. Mais à condition que nous prenions pleinement conscience de tout ce qui nous freine et nous bloque dans cet objectif. Ces freins, ces blocages, ces obstacles sont vraisemblablement multiples et complexes. Ils ne sont manifestement ni scientifiques, ni techniques, ni économiques : ils sont avant tout humains, et souvent inconscients.

Sommes-nous prêts au fond à abandonner le confort de la civilisation industrielle ? Avons-nous suffisamment confiance pour nous mobiliser ensemble dans une multitude de chantiers collectifs, créatifs et transformateurs, partout sur nos territoires, dans nos villes, nos villages, nos entreprises, nos quartiers, nos universités ? Les écologistes sont-ils prêts à oeuvrer avec les « autres » : les « consommateurs », les « mondialistes », les « pollueurs », les « chasseurs » ? Ces « autres » sont-ils prêts à avancer avec ceux qu’ils appellent les « chevelus », les « farfelus », les « irresponsables », ou pire, les « khmers verts » ? De quoi et de qui les uns et les autres nous sentons-nous victimes ? Quels sont, en ces temps de crises multiples, nos doutes, nos craintes, nos soupçons quant à ce grand dessein – et destin – écologique, qui révèleraient pourtant les besoins et motivations de chacun, forcément divers, selon nos expériences, nos sensibilités ?

Comment vivons-nous cette idée de nous lancer dans l’inconnu, dans l’incertain ? Finalement nos peurs de l’écologie correspondent-elles à des dangers réels ou bien imaginaires ? De quels sentiments d’insécurité, d’impuissance et de découragement sommes-nous encore prisonniers ? Quelle est la réalité, la taille et la nature de cette montagne à franchir ?

Yves Lusson

*D’après notamment l’article Faut-il prendre l’effondrement au sérieux, d’Hubert Guillaud, Le Monde.fr, 17 octobre 2015 

 

 

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