Chroniques pour faire société ensemble

Nous réinventer avec toutes nos sensibilités ?

Palette.A l’aube de mes 50 ans, je me pose la question : à quoi ressemblera notre société dans les cinquantes prochaines années ? Quelles sont les utopies d’aujourd’hui qui deviendront les réalités de demain et que nous devons dessiner dès maintenant ensemble ? Un monde d’hyper-technologies ? Un retour du religieux ? Un retour à la nature ? Un monde hyper-connecté et/ou mondialisé, ou un monde fait de multiples cercles de proximité, plus ou moins autonomes et relocalisés ? Qui peut se targuer de connaître l’avenir de la société ? De détenir à lui seul la vérité ? Si alors l’avenir est inconnu, incertain, comment s’y engager avec confiance ? Et ensemble, avec nos sensibilités diverses ?

J’ai parmi mes amis – réels et/ou numériques – beaucoup de gens de sensibilité écologiste, formant une mouvance qui prône la transition de la société. Je m’interroge sur sa propension à croire en l’imminence d’une révolution dont elle serait l’unique visionnaire et l’unique guide, et que la société tout entière serait prête à suivre sans moufter. Les figures de ce néanmoins valeureux mouvement – incarnées par exemple dans le récent documentaire Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent – sont devenus les héros d’un ou deux millions de Français. C’est à la fois beaucoup et c’est peu comparé à une population nationale dont les groupes socio-culturels ne cessent de se diversifier. A l’instar des autres communautés de pensées, voire d’actions, la « tribu écologiste » croit ainsi légitimement savoir à quoi devrait ressembler le monde de demain. Mais jusqu’où cette foi est-elle réaliste, et surtout jusqu’où est-elle ouverte aux autres visions d’avenir ? Quid de la vision des « progressistes », des « mondialistes », des « techno-scientistes », des « libéraux », des « sécuritaires », des « religieux », etc. 

A ce saucissonnage idéologique, qui s’intensifie par les effets grossissants et fragmentants des réseaux sociaux, s’ajoute ce qu’on pourrait appeler les fracturations chronologiques à l’oeuvre dans les médias. Comme l’avait prédit le pape du pop art Andy Wharol, chacun cherche à vivre son quart d’heure de gloire. A l’heure de la COP 21, par exemple, c’est le temps des écologistes : pendant deux semaines, il n’est plus question que de sauver la planète du réchauffement climatique. Quelques jours plus tard vient le temps des consuméristes : on ne pense plus qu’à acheter ses cadeaux de Noël, dans une frénésie planétaire. L’été, voici qu’entrent sur le terrain les adeptes du sport-spectacle télévisé, à moins que de nouveaux attentats sanglants viennent coloniser les imaginaires et imposer les sécuritaires ou les identitaires. Les évènements médiatiques s’enchaînent, diversifiant à l’infini les coups de projecteur sur telle ou telle passion humaine, sans vraiment se préoccuper de bâtir une vision globale et partagée de la complexité du monde, et de son devenir.

Ainsi, au lieu de produire ensemble un avenir commun, nous assistons impuissants à une forme de morcellement de l’espace de citoyenneté : comment un écologiste peut-il aujourd’hui raisonnablement dialoguer avec un techno-scientiste ? Comment un autonomiste peut-il s’entendre avec un mondialiste ? Alors chacun se replie dans ses certitudes, toute confrontation devenant impossible sinon stérile.

Comment reprendre en main notre destin collectif ? Comment recréer des agoras destinés à refabriquer du sens commun ? En attendant que ces espaces reviennent dans les grands médias nationaux, qui par définition demeurent inaccessibles à tout un chacun, serait-il possible d’en recréer dans nos quartiers, nos entreprises, nos territoires, nos associations, ou que sais-je encore ?

Une réponse ne serait-elle pas de créer des sortes de « cercles de débats fraternels et féconds » partout où c’est possible ? Ils seraient encadrés par des personnes « catalyseurs » spécialement formées pour aider les gens à se rencontrer en confiance. Ils réuniraient non plus les tribus entre elles – surtout pas ! – mais au contraire, la plus grande hétérogénéité possible de gens issus des différentes composantes sociales et culturelles, dans des groupes locaux à échelle humaine, chaque groupe étant tendu vers un objectif concret et motivant d’imaginer ensemble un petit morceau d’avenir.

Et alors et seulement alors il serait possible de refaire société, localement, avec la variété socio-culturelle nécessaire pour intégrer la plus grande diversité possible de sensibilités, et ainsi, comme l’explique Charles Rojzman, fondateur de la Thérapie Sociale, permettre de « dégager ensemble une vision plus globale et plus complexe de la réalité ». Il se pourrait alors que les grandes croyances ou idéologies, qu’elles soient politiques, religieuses, économiques, étatiques, laissent peu à peu la place à une multitude de confrontations pragmatiques, créatives, fraternisatrices, transformatrices, régénératrices de liens, de sens, d’harmonies, avec soi-même, avec les autres et avec le monde qui nous entoure. Et ainsi de mon point de vue nous résolverions beaucoup de problèmes…

Tel est, dans l’inspiration de la Thérapie Sociale, un rêve que je souhaite plus que jamais partager, et commencer de réaliser, petits cercles par petits cercles, et avec d’autres.

Yves Lusson

 

 

 

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