Chroniques pour faire société ensemble

Convention citoyenne pour le climat : avancée démocratique ou trahison du peuple ??

Après avoir coordonné, en 2011, la Convergence citoyenne pour la transition énergétique (voir article précédent), je crée aujourd’hui, en tant qu’intervenant en Thérapie sociale TST, des rencontres citoyennes et populaires pour faire vivre la démocratie (article à suivre). Je crains que la Convention citoyenne pour le climat adoubée par Emmanuel Macron fin juin ne soit au contraire qu’une illusion démocratique qui risque de détourner davantage le peuple de l’espoir d’un renouveau démocratique.

Et voilà. Notre président-communicant venait d’enfourcher son nouveau cheval de bataille, celui de l’écologie. Dans les jardins de l’Elysée, en ce 29 juin 2020, il fallait le voir tout sourire après avoir « embarqué » (pour reprendre ses mots) les 150 citoyens « tirés au sort » (en réalité soigneusement « castés » par un grand institut de sondage) de la Convention citoyenne pour le climat. Ceux-là venaient honnêtement et sincèrement de plancher durant neuf mois pour tenter de comprendre « les enjeux du réchauffement climatique » et pour rédiger une batterie de mesures qu’un bataillon « d’experts » triés sur le volet leur avaient plus ou moins inspirées.

Présentée par le Président lui-même comme un grand moment démocratique, je me questionne à la lumière de ma propre expérience. Car la démocratie, ça me connait un peu. D’abord pour avoir coordonné, durant l’été 2011, une aventure démocratique et populaire forte – la Convergence citoyenne pour la transition énergétique, à Lézan dans le Gard, à l’initiative des Comité nationaux anti-gaz de schistes, et à l’issue de laquelle fut rédigée la Déclaration de Lézan -, et aussi en tant que journaliste scientifique et social, devenu en 2015 intervenant en Thérapie sociale TST à la suite d’une longue formation auprès de son inventeur Charles Rojzman, m’amenant aujourd’hui à animer des rencontres citoyennes et populaires avec cette approche très spécifique et innovante.

Il faut le vivre avec ses tripes pour pouvoir comprendre ce qu’est la véritable démocratie ; le pouvoir au peuple. Eprouver la liberté – et la responsabilité – du peuple qui décider de son propre destin, qui le prend en main, qui le transforme. Etre ému de l’opportunité donnée à tous et à chacun de partir de ses VRAIS besoins, de ses VRAIES motivations, de ses rêves jusqu’aux plus inavouables, de les voir les confronter à ceux des autres et à la réalité pour pouvoir en imaginer ensemble et pas à pas du commun.

Selon moi, la vraie démocratie part du peuple et de sa propre expérience : elle donne à celui-ci la possibilité d’aller au fond de lui-même, de chercher par lui-même comment transformer à la racine – économiquement, politiquement, philosophiquement, médiatiquement… – la société afin qu’elle puisse répondre au plus près à ses besoins les plus profonds. Aux besoins des Gilets jaunes dans leur désir de liens, de justice sociale et d’amour, à ceux des Décroissants dans leur désir d’humanité, à ceux des défenseurs de l’artisanat, du beau, du faire-soi-même, du faire-ensemble, du créer-ensemble, ici et maintenant, à ceux des partisans d’une reprise en main personnelle et collective des usages au quotidien partout dans les territoires.

La démocratie est dans la possibilité offerte à TOUS de trouver son rôle et de prendre sa place dans la société, de construire sa souveraineté dans sa propre vie, partout dans les villes, les quartiers, les villages, les associations, les entreprises, les familles, dans tous ces lieux où, selon le philosophe Jean-Claude Michéa, vivent les « gens ordinaires » : l’usine, l’atelier, la ferme, le bureau, l’école, l’hôpital… « Parce que ce sont ces territoires premiers qui constituent le principal lieu d’initiation à la vie commune, écrit-il* – laquelle inclut, entre autres, l’habitude de discuter avec le voisin ou le collègue qui ne pense pas forcément comme nous (une habitude qui se perd facilement, en revanche, dès qu’on se retrouve enfermé dans l’entre-soi d’une secte religieuse ou politique). Et donc l’un des lieux d’apprentissage privilégiés du débat démocratique et du dépassement au quotidien des « contradictions au sein du peuple » (on peut se demander ce qui resterait, en France, de l’esprit frondeur – le vrai – sans l’existence des cafés de quartier ou de village) ».

Prise d’otage ?

Ce qui m’inquiète avec la Convention citoyenne pour le climat, c’est la façon dont le peuple et la démocratie semblent avoir été pris en otage. Car le Président, dans son discours, a été clair : pas question de remettre en question le paradigme de la croissance économique et du productivisme – pourtant de plus en plus décrié aujourd’hui – transformant d’un coup les 150 citoyens représentatifs de la population française en représentants du système en place « à l’insu de leur plein gré » (comme dirait un célèbre cycliste populaire). Est-il honnête de draper de vertu démocratique une intention de repeindre en vert une offre politico-économique qui, pour de plus en plus de citoyens, est l’une des principales sources de leurs souffrances ? Pire, en nous présentant ce projet comme la plus belle des innovations démocratiques, en nous faisant croire que la démocratie, ça consisterait à caster 150 citoyens qui n’ont rien demandé, à les faire bûcher sur des sujets qu’ils ne connaissaient pas au départ (car plus ou moins éloignés de leur vie quotidienne), puis à convoquer, pour remédier à leurs méconnaissances, un ballet d’experts savamment choisis pour les amener à « bien penser », ne risque-t-on pas de susciter au sein du peuple un fort sentiment de dépossession et de trahison ?

Même les 150 citoyens, sont-ils heureux, au fond, d’avoir été embarqués quasiment de force dans le projet d’une écologie qui continue à rapporter gros aux actionnaires tout en freinant l’imagination et la créativité citoyennes dans la vie quotidienne : une écologie de consommation, super industrielle, super technologique, non-maîtrisable, aliénante, liberticide ? Une écologie qui par exemple incite encore et toujours à la production et à la consommation de masse de voitures électriques dites « propres » (ça, d’ailleurs, ça reste à prouver) au lieu de donner aux gens la possibilité de réinventer ensemble, en intelligence collective et à partir de leurs propres réalités, une société qui se libérerait peu à peu de l’idéologie consumériste, voire addictive, de la voiture ?

Qu’est-ce qu’une démocratie revivifiée si elle ne nous donne pas à mieux accueillir la réalité, la liberté, l’incertitude, l’inquiétude, le sensible, la responsabilité de soi, de l’autre et de la nature, l’errance même, autrement dit notre humanité dans toute sa vérité, sa profondeur, sa lucidité et son entièreté ? Pour moi elle se vit là où un cadre est installé et un travail est fait** qui permet d’installer une vraie confiance entre les protagonistes, de faire circuler l’information, de croiser les points de vue et les expériences personnels, de faire vivre en sécurité des conflits créatifs et constructifs sur une multitude de sujets de la vie de la cité. C’est ainsi qu’elle nous permet, surtout, de partir réellement et librement de soi, de nous, de la réalité, de nos intuitions et sensibilités, de ce qui nous anime au plus profond de nous-mêmes, pour pouvoir oeuvrer ensemble à des transformations en profondeur, en nous, autour de nous, dans nos relations et nos cadres de vie, non pas en appliquant des modèles préconçus ou prétendument supérieurs, mais en en inventant de nouveaux ensemble.

Yves Lusson, journaliste et intervenant en Thérapie sociale TST.

*Jean-Claude Michéa, Notre ennemi le capital, Ed. Champs Essais Flammarion

**C’est le cas du travail proposé dans les interventions en Thérapie sociale TST

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