Chroniques pour faire société ensemble

Face à l’islamisme : il faut continuer à faire ensemble

Pique nique Sevran
Nadia Remadna de la Brigade des mères, Pique-nique de la fraternité, dimanche 17 avril à Sevran (source photo Véronique Roy).

Tout commence par des histoires d’enfants.

Années 70. J’ai 10 ans. Je partage mes mercredis et mes samedis avec mes copains de football. Peu m’importe qu’une majorité d’entre eux soient d’origine algérienne et musulmane. Nous jouons au foot ensemble.

Années 2000. Mourad* a 15 ans. Il partage ses mercredis et ses samedis avec ses copains de rugby. Peu lui importe qu’une majorité d’entre eux soient d’origine « gauloise » et chrétienne. Ils jouent au rugby ensemble.

Mourad et moi nous rencontrons il y a cinq ans. Il préside la Maison des Potes d’une grande ville de province. J’accompagne une jeune femme promise à un certain avenir politique (qui deviendra plus tard ministre de l’Education Nationale…). Chacun se présente, parle un peu de soi et de son parcours autour de la table. Touché par son témoignage, je laisse mon numéro à Mourad. Il me rappelle un mois plus tard pour me demander de co-animer avec lui un débat public, « La Jeunesse est dans la place », dans le cadre de la semaine de l’Egalité. Il sortira de cette réunion un Manifeste de la Jeunesse, qui commencera par ces mots : « Nous, jeunesse de Saint-Etienne, avons soif de solidarité et de respect. Nous voulons trouver notre place, ici en France, et maintenant. »

Nous nous promettons de nous revoir bientôt. Je n’ai jamais revu Mourad. Nos peurs, nos croyances et nos illusions respectives auraient-elles eu raison de notre amitié naissante ? Ai-je eu peur ? A-t-il eu peur ? Oui, j’en suis aujourd’hui convaincu. Mais la peur, de mon côté comme du sien n’a pas été reconnue. Avec sa barbe caractéristique du « salaf », sa compagne voilée qu’il ne m’a pas présentée, qu’est-il devenu je n’en sais rien. S’est-il « radicalisé » ? A-t-il sacrifié les valeurs républicaines auxquelles il semblait tenir sur l’autel de l’idéologie à laquelle il semblait se soumettre de plus en plus fidèlement ?

L’été suivant, je m’engage sur le chemin exigeant de la Thérapie Sociale TST, dans un groupe de formation animé par son fondateur, le psychosociologue et écrivain Charles Rojzman. J’apprends peu à peu à reconnaître mes peurs, mes violences, à ne plus me laisser manipuler par elles. Je comprends que nos peurs ne sont JAMAIS un mythe, mais TOUJOURS bien réelles, et que ce sont les dangers liés à ces peurs qui eux sont soit réels, soit imaginaires. J’apprends peu à peu à mieux voir ces dangers et à distinguer mes fantasmes de la réalité.

Selon la Thérapie Sociale, l’AUTRE nous inspire de la peur quand il risque de nous faire violences – nous agresser, nous ignorer, nous nier, nous humilier, nous culpabiliser… – ou bien quand nous imaginons qu’il peut les exercer sur nous. Or dans nos milieux élitistes de « sachants », nous nous interdisons trop souvent de nous avouer nos peurs des autres. Nous préférons nous obliger à accepter les yeux fermés, dans un stupide relativisme culturel, l’autre dans sa différence, « même si cette différence entre en contradiction avec nos valeurs les plus intimes ! », explique Charles Rojzman.

Ce relativisme serait-il inoffensif s’il ne présentait pas un énorme inconvénient : celui de nous empêcher d’ENTRER EN CONFLIT, alors que c’est précisément cette capacité au conflit qui nous permet de verbaliser, de nous parler en vérité, de faire valoir qui nous sommes, de débattre, de nous expliquer, donc de résorber les violences et continuer à faire société ensemble. Ce conflit qui nous manque tant nous permettrait pourtant de poser les problèmes là où ils existent, et si ce n’est de de trouver un terrain d’entente, du moins de reconnaître l’humanité de nos adversaires. Il n’y aura pas de véritable vivre ensemble sans conflit, répète inlassablement Charles Rojzman. L’intervenant en Thérapie Sociale que je suis devenu a appris, dans la mesure de mes possibilités et de mon niveau actuel, à recréer les conditions d’un tel conflit réparateur et constructif, en construisant un cadre suffisamment sécurisé et de confiance pour qu’il puisse se vivre sans violences. C’est au coeur de ma formation.

Ils ouvrent un chemin

Partout en France des gens parviennent encore à se lever face à la montée des violences. Ils osent nommer les adversaires, pour mieux leur faire face, dénoncer leurs mensonges, leurs illusions, leurs manipulations, crier stop à leur folie. Ils laissent s’exprimer leur juste colère et leur agressivité bien placée. ils combattent la haine d’en face, et certains parviennent même à combattre leur propre haine, celle qui risque de les empêcher de voir l’être humain en l’adversaire.

L’une de ces personnes se nomme Céline Pina. Ancienne conseillère régionale du Val d’Oise, elle dit souffrir de tous ces politiciens – en particulier dans sa famille de gauche – qui ne défendent plus ce qu’ils sont censés défendre, qui est pourtant dans leur ADN : l’émancipation, l’égalité, la liberté. « Aujourd’hui on en arrive à une situation où défendre les femmes n’est pas considéré comme défendre la dignité humaine, déplore-t-elle à l’émission C à Vous (voir vidéo). Quand un homme refuse de serrer la main à une femme uniquement parce qu’elle est une femme, on dit que c’est sa liberté. Imaginez maintenant qu’un homme refuse de serrer la main à quelqu’un de couleur parce que c’est quelqu’un de couleur, on hurlerait et on aurait raison. Quand on le fait à des femmes, on trouve ça acceptable. Or refuser aux femmes la dignité humaine, ce n’est pas acceptable. Si on ne lutte pas contre ça, si on se tait face à ça, alors on accrédite tous les discours des salafistes et des extrémistes. »

« Islamiste, ce n’est évidemment pas musulman, prévient-elle. L’islamisme, c’est la radicalité. C’est la quête du pouvoir. C’est transformer une religion en projet politique. C’est ça que la majorité des musulmans combattent, mais à certains endroits, ça leur est devenu très difficile ». Elle comme d’autres n’a cure des lâches accusations d’islamophobie lancées par certains médias, et dénonce avec une grande clarté le vrai projet de cette idéologie qui est de détruire les valeurs de la démocratie – la liberté de conscience, de croire ou de ne pas croire, de critiquer les religions, l’égalité homme-femme, la liberté d’être et de s’aimer comme on est, d’aimer qui l’on veut… – et qui monte les Français les uns contre les autres en cultivant la victimisation et la diabolisation, qui ensemence la haine dans les coeurs meurtris et prépare les passages à l’acte.

Face à l’islamisme, on cherche l’antidote. D’aucuns veulent lui opposer ce que Fatoumata Sidibe, députée belge d’origine malienne, nomme « un espace social d’interaction entre les groupes, entre femmes et hommes, dans lequel tente de se recomposer un nouveau pacte laïque, condition nécessaire à toute transformation sociale. » Pour Charles Rojzman, il ne pourra s’agir de promouvoir un vivre-ensemble qui voudrait gommer les conflits, et qui aboutirait à gommer les résistances face à ce qui est inacceptable, mais il pourrait s’agir au contraire de s’engager dans un projet de reconstruction d’une véritable fraternité, quartier par quartier, territoire par territoire (voir l’article de Charles Rojzman, Il est temps de construire une véritable fraternité, paru le 5 janvier 2015, soit deux jours avant les attentats de Charlie Hebdo).

Ici et là des Français se redressent, se rassemblent et se soutiennent via notamment les réseaux sociaux. Le week-end dernier à Sevran en Seine-Saint-Denis, une centaine d’entre eux ont répondu à l’appel de Nadia Remadna et de sa « Brigade des mères », pour un Pique-nique de la fraternité. Nadia et les « brigadières » ont décidé de réoccuper l’espace public abandonné aux idéologues. Peinant à trouver le soutien des politiciens locaux, tout à leur stratégie électoraliste d’alliance avec les-dits idéologues, elle et d’autres citoyens luttent avec leurs propres moyens contre la radicalisation dans les quartiers. La Brigade a un projet « d’Ecole des mères » pour la rentrée prochaine. Une autre association, JeSuisFrance, met en place comme elle le peut des rencontres et des ateliers à destination des plus jeunes notamment (voir l’article dans Causeur). « Il s’agit de regagner le terrain pris par les islamistes, et nous devons les battre en utilisant la stratégie qu’ils emploient, celle de la proximité », confient sa présidente Yamina Mahboubi et l’un de ses représentants François Novelle.

Ainsi le chemin s’éclaire. Céline Pina affirme dans Marianne vouloir « redonner de la spiritualité en politique, l’envie aux gens de se lever et de se battre pour être co-créateurs de notre monde commun ». Je pense aussi et surtout à Véronique Roy, la maman de Quentin, mort en Syrie en janvier dernier à l’âge de 23 ans, après sa radicalisation dans son quartier de Sevran. Au milieu de son deuil, cette femme exemplaire a trouvé l’immense courage de se dresser dignement face au Président de la République le 14 avril, lors de l’émission Dialogue Citoyens sur France 2 et lui dire ce qu’elle avait sur le coeur. Egalement présente au pique-nique de Sevran elle a déclaré aux journalistes :

« Il faut continuer à faire ensemble. Parce que vivre ensemble ça ne veut rien dire si on vit côte à côte. »

Yves Lusson

 

*J’ai changé son prénom

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