Chroniques pour faire société ensemble

Nuit Debout, mouvement populaire ?

commission_action_v_1Nuit Debout est-il l’acte 1 d’un grand mouvement populaire pour un vrai changement de société ? Imaginé à l’avance par un groupe de contestataires qui cherchent manifestement à le diriger en coulisses (voir article de Télérama), il réunit des milliers d’utopistes sincères rêvant d’une révolution dont ils se targueraient d’être les précurseurs et les guides. Mais que représentent ces militants dans la société française, et en particulier auprès de la jeunesse ? Nuit Debout attire-t-il les ruraux qui se lèvent tôt ? Les jeunes des banlieues ? Ou ceux des beaux quartiers ? Jusqu’où agglomère-t-il la diversité des rêves et des besoins d’une population française en perte de repères et en grande défiance de la politique et des institutions ? Nicolas Norrito, fondateur de la maison d’édition libertaire Libertalia, interrogé par le magazine Les Inrockuptibles sur son stand Place de la République, donne un début de réponse : « c’est une population qui lit des livres, notre stand est vidé chaque soir. La composition sociologique du mouvement ? Il est blanc, de centre-ville, trentenaire, de classe moyenne. Je suis prof de français en collège à Montreuil, je n’ai pas vu un seul de mes élèves à Nuit Debout ! »

La diversité sociale est pourtant le graal que voudraient atteindre les organisateurs. Pour François Ruffin, l’un des principaux initiateurs du mouvement, « l’enjeu pour moi c’est que la Nuit Debout sorte de l’entre-soi, qu’elle soit comme un coeur qui innerve la ville ». « C’est devenu son leitmotiv depuis des années : le succès d’une lutte repose sur la rencontre entre différentes classes sociales », ajoute Les Inrocks à son propos. Aussi, face au constat d’un manque de mixité des milieux, le mouvement lance depuis quelques jours des appels à inviter des personnes non politisées à les rejoindre, et à investir notamment les banlieues et les villages.

Une démocratie réinventée ?  

Car Nuit Debout promet une démocratie renouvelée. Plus directe et participative. Chaque soir, l’Assemblée Générale est orchestrée par des « modérateurs » qui dressent la liste des intervenants qui auront droit chacun à deux minutes de parole. Toutes les revendications y passent. Le public est invité à réagir. En silence. En bougeant les mains. On décide de créer des commissions. Un blogueur raconte son fou-rire à la vue de la Commission Rédaction de la Constitution, composée de quatre personnes assises en cercle sur le macadam. Peu importe leur légitimité, leur efficacité, en attendant que le cercle s’agrandisse et fasse des petits (avec leurs clones ?), les valeureux sont investis d’une mission sacrée. Ils réinventent un monde qui sera forcément plus juste que le précédent. Toujours dans l’article des Inrocks : « Fréquemment en AG, des militants écolos, du NPA, du PG, de syndicats et d’associations prennent la parole, même s’ils ne le font pas au nom de leur organisation. “Ce sont souvent les mêmes profils qui reviennent pour les prises de parole, il faut plus de diversité, se plaint la modératrice ce jeudi. C’est vrai que c’est compliqué pour ceux qui sont non-diplômés ou qui n’ont pas d’expérience militante mais il faut que vous le fassiez.”

Comment en effet réinventer un monde plus juste si chacun n’a pas la possibilité d’y défendre son bifteck ? Comment répondre aux besoins de tous si on n’arrive pas à écouter tout le monde et cerner la réalité de la société dans toute sa complexité – une condition préalable à la production de sens commun ? Jusqu’où ces séances de créativité collective ne sont-elles pas viciées par une idéologie dominante qui serait l’exact négatif de celle qu’elle prétend combattre ? A quel point cette idéologie ne risque-t-elle pas d’empêcher l’expression de tous les désaccords, pourtant nécessaire pour créer du commun, par peur d’être catalogué dans les pires listes de la pensée manichéenne : « autoritaire » « conservateur », « nationaliste », « social-traître », « facho », « raciste »… ? Dans ces conditions le mouvement Nuit Debout parviendra-t-il à favoriser la diversité réelle des expressions sociales ou l’accueil d’une réelle diversité de points de vue… et de façons de s’exprimer !? Permettra-t-il à certains « gens ordinaires » de se raconter, de parler d’eux en confiance, de leurs souffrances, de leurs colères, y compris de dire leurs quatre vérités à ceux (ou à leurs enfants) qu’ils nomment les « sachants » et dont ils se méfient le plus : éducateurs, fonctionnaires, journalistes, intellectuels, psys, syndicalistes… ? Ne faut-il pas au contraire s’attendre à voir s’exprimer toujours le même milieu qui chercherait inconsciemment et subtilement à se reproduire ? Quitte une fois de plus à s’imposer à une majorité silencieuse et résignée… ou prête à voter populiste en 2017 ?

 

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